vendredi 16 mai 2014

Pas son genre : agréablement original

Aujourd’hui on va parler d’un film sorti il y a déjà deux semaines. J’ai eu la chance d’assister à l’avant première et de pouvoir rencontrer et questionner Lucas Belvaux, le réalisateur.

Le pitch du film est plutôt simple. Clément, jeune et brillant professeur de philosophie, se retrouve muté à Arras, Nord Pas de Calais. En temps que bon parisien qui se respecte, il est snob, hautain et méprisant envers la province et ses provinciaux. Et en temps qu’intellectuel, il est snob, hautain et méprisant en ce qui concerne la culture de divertissement. Kant vs Jennifer Aniston, pour Clément il n’y a même pas de match. D’ailleurs, l’héroïne de Lucas Belvaux s’appelle également Jennifer. Elle est coiffeuse, aime Anna Gavalda et les soirées karaoké avec ses amies. Deux personnages que tout oppose donc. Pas son genre est bien une comédie romantique, mais aussi un film qui interroge sur la capacité d’un couple à transcender les différences sociales et culturelles. Après tout, qu’est-ce qu’un prof de philo et une coiffeuse pourraient bien avoir à partager ? De l’amour, du sexe, quelques moments de bonheur ? Bien sûr certains diront que les personnages sont clichés et que la fracture sociale et intellectuelle entre eux est appuyée avec la délicatesse d’un troupeau d’éléphants. Mais après tout, cette fracture est le thème du film, il fallait bien qu’elle soit montrée, de manière rapide et évidente. De plus, il faut savoir que l’histoire originale n’est pas l’œuvre de Belvaux mais celle de l’auteur Phillippe Vilain. Le roman éponyme dont est tiré le film est sorti en 2011 et avait pour ambition de questionner l’importance du milieu social dans une histoire d’amour, exactement comme tente de le faire Belvaux dans le film. De ce point de vue l’adaptation est plutôt fidèle à l’œuvre originale.
Le jeu des acteurs et l’intelligence de l’écriture rendent particulièrement intéressantes les interactions entre Jennifer et Clément. Vous l’aurez compris, les acteurs sont une des grandes forces de ce film. En effet, Emilie Dequenne (Jennifer) est déjà une actrice confirmée, on a notamment pu la voir dans  Le Pacte des Loups de Christophe Gans. Loïc Corbery (Clément) vient quant à lui du théâtre et est sociétaire de la Comédie Française depuis 2005. D’ailleurs, Belvaux l’a choisi pour son aisance avec la lecture et les textes classiques entre autres, puisque plusieurs scènes de lecture jalonnent le film. « Il me fallait un comédien à l’aise avec les texte classique, qui sache en faire ressortir toute la poésie dès la première lecture » a déclaré Lucas Belvaux lors de l’avant-première en évoquant le choix de son comédien. Deux acteurs particulièrement bons, qui participent grandement à la qualité du film, d'autant plus que pour Belvaux, la direction d'acteur se limite au minimum, afin de laisser libre cours au jeu du comédien. Pourtant j’ai un avis très arrêté sur l'importance des acteurs. Proche de la Politique des auteurs, j'estime qu'un bon film l'est avant tout grâce à son réalisateur, l'acteur n'étant qu'un moyen d'expression pour se dernier au même titre que le cadrage, le montage ou l'éclairage. Je reste donc persuadé qu'un film ne peut pas être bon sans un bon réalisateur, même avec les plus grands acteurs. Cependant il faut savoir reconnaître une belle performance, et c'est ce que nous offrent Duquenne et Corbery.
Le scénario est intéressant autant grâce à ce qu'il raconte que grâce à comment il le raconte. En effet, comme les scènes de lecture, trois scènes de karaoké découpent le film. Trois chansons qui figurent l'état d'esprit de Jennifer au cours de l'histoire, comme une sorte d'indicateur d'humeur. La dernière scène du film succède justement à une de ces scènes de karaoké. Cette dernière amène à la perfection un twist final absolument génial. Mais vous n'en saurez pas plus.


On dira donc que Pas son genre est une très bonne surprise, une comédie romantique vraiment originale qui propose un vrai questionnement et pas juste une histoire hollywoodienne aseptisée. Un film qui fait plaisir à voir.

samedi 10 mai 2014

The Baby: un air de déjà vu

Bien sûr, quand je vais voir un film d'horreur, je sais plus ou moins à quoi m'attendre. C'est pourquoi un pitch classique est acceptable si d'autres choses  viennent compenser. Un super twist final, un méchant extrêmement charismatique ou de spectaculaires effets spéciaux par exemple. Le problème de The Baby, c'est qu'il n'y a rien de tout ça. Le film manque cruellement de surprise et d'inattendu, tout est joué d'avance, les situations sont vues et revues et rien ne vient relancer une intrigue qui stagne depuis le premier quart d'heure. Le sentiment de déjà vu est tel qu'on croirait voir un énorme patchwork empruntant aléatoirement à des films comme A l'intérieur, Le dernier exorcisme ou The House of the Devil. Les possessions démoniaques, les symboles mystiques et les sectes sataniques ça revient souvent dans le cinéma d'horreur et il devient très difficile d'en faire quelque chose d'original, même en utilisant le procédé du found footage comme c'est le cas pour The Baby. Ces dernières années en ont été l'âge d'or et les films utilisant le procédé se sont multipliés, en particulier dans le cinéma de genre. C'est d'ailleurs l'horreur qui avait démocratisé le concept de film trouvé avec des productions comme Le Projet Blair Witch ou Cannibal Holocaust. Lorsqu'il est bien utilisé, le found footage apporte un réalisme et une immersion qui renforce la peur chez le spectateur. Mais pour que cela marche, la mise en scène doit être totalement pensée dans ce sens en respectant les nombreuses contraintes nécessaires au réalisme du film. Une seule caméra, des scènes en plan séquence, pas de mouvement de caméra qui ne pourrait être réalisé avec un simple caméscope… Dans The Baby, on ne s'embarrasse pas de ce genre de chose. Le montage final contient des extraits de caméras de surveillance, de caméscopes d'autres personnes et même de caméras espionnes installées par les méchants. Tout ceci ruine totalement le côté film trouvé du long métrage, et on finit même par se demander si c'est par paresse ou par incompétence que ces erreurs ont été commises. Lorsqu'on fait abstraction du manque d'originalité et du problème de cohérence, il en reste un film très moyen mais pas mauvais. The Baby ne rentrera jamais dans l'histoire du cinéma, c'est certain. Mais grâce à quelques effets sympas (jump scares, scènes en caméra nocturne…) qui font monter un peu la tension de temps à autres, le film pourra convenir pour une petite soirée entre amis. Mais je vous préviens, les amateurs d'horreur seront déçus...

samedi 3 mai 2014

Noé : D pour déception

Oui mon dernier article commence à dater un peu. On s'était quittés sur une note plutôt négative avec un petit retour sur les Oscars 2011. Aujourd'hui ce n'est pas beaucoup mieux. Si j'ai mis tout ce temps pour écrire cette critique c'est que le film dont nous allons parler m'a quelque peu déstabilisé. Aujourd'hui je vous parle de Noé de Darren Aronofsky.


C'était pour préparer la sortie de Noé que j'avais entrepris de vous faire une petite rétro sur la carrière de Darren Aronofsky. Comme je vous l'avais dit, j'attendais ce film depuis environ deux ans et j'en attendais beaucoup. Lorsqu'un film d'un de mes réalisateurs préférés sort, j'ai du mal à faire une place à l'objectivité, c'est tout ou rien. Un chef d'œuvre ou un gros ratage. Et pour Noé je considère en l'occurrence que c'est un gros ratage. Je le reverrai et mon opinion se nuancera probablement mais le fait est que pour le moment il n'est pour moi que déception.
J'ai toujours aimé Aronofsky pour sa capacité à rendre grand public un cinéma qui confine au cinéma d'auteur. Mais pour que ça marche il faut deux éléments. Premièrement que le film soit grand public – ce n'était pas le cas avec Pi qui était un vrai film d'auteur, en noir et blanc et tout et tout – et qu'il ait aussi un vrai intérêt cinématographique. Noé est grand public, aucun problème là-dessus. Non ses manquements sont plutôt cinématographiques. On a affaire, selon moi, à un blockbuster tout à fait lambda. Après quatre articles sur la carrière d'Aronofsky, vous devez vous rendre compte de ce à quoi je m'attendais. La lumière de Noé, bien qu'assurée par Libatique,  n'a rien d'exceptionnelle. Les effets de style manquent à l'appel. Les personnages sont archétypaux et mus par des motivations qui ne me parlent pas du tout. Pour resituer je prendrai l'exemple du bébé d'Ila (Emma Watson) dont Noé veut se débarrasser dès sa naissance pour faire s'éteindre l'espèce humaine parce que le ciel lui a dit de le faire. Tiens ça sonne comme une réplique de Seven ça: "Une voix m'a dit de le faire, mon chien m'a dit de le faire Jodie Foster m'a dit de le faire"  Et ce n'est pas le fait de s'attaquer à un thème biblique qui provoque ce décalage entre mon échelle de valeur et celle des personnages. Car ce n'est pas la première fois qu'Aronofsky s'inspire du plus grand best-seller de tous les temps pour l'un de ses films. Dans The Fountain déjà, les thèmes de l'Eden, de l'arbre de la vie et de celui de la connaissance, étaient centraux. Cependant ils s'inscrivaient dans une histoire beaucoup plus complexe, autour de personnages dont les sentiments et les motivations étaient beaucoup plus proches de nous. Plus facile de s'identifier à l'homme qui tente désespérément de sauver la femme qu'il aime plutôt qu'à celui qui veut tuer ses petits-enfants parce qu'il a lu dans la pluie qu'il devait le faire. Alors vous me direz: "C'est biblique, donc forcément imagé, ce n'est pas à prendre au pied de la lettre !" Dans l'absolu je suis d'accord, mais le problème dans Noé c'est que tout est sur le même ton, pas de symbole derrière le sacrifice de ce bébé à naître. On doit se rendre à l'évidence,  l'ancien testament est cruel, violent et totalement archaïque. Et le revirement final qui nous dit "En fait Noé il est trop gentil, il ne ferait pas de mal à une mouche"  ne fait qu'étayer ma thèse. Ca nous dit que tout ça était très sérieux mais qu'un mec qui sauve gazelles et crocodiles n'est évidemment pas capable de tuer un nourrisson.
Bon, pour nuancer un peu, je dirais que j'ai été un peu dur à propos des effets de style. On a droit à quelques très jolis plans en contre-jour où les silhouettes des personnages se détachent magnifiquement d'un fond aux couleurs irréelles. L'autre effet intéressant est l'enchainement d'images symbolisant la déchéance de l'humanité: l'Eden la pomme, le serpent, la massue de Caïn… Un effet qui n'est pas sans rappeler les enchaînements de Requiem lorsque les personnages se piquent puisque dans les deux cas ils reviennent régulièrement dans le film pour exprimer quelque chose de très précis. De plus la massue de Caïn m'a fait penser à 2001 : l'odyssée de l'espace de Stanley Kubrick et à sa scène de la découverte de l'outil.

2001 : L'odyssée de l'espace
Noé
Voilà, on peut trouver quelques bons points au film mais globalement, 14 ans après Requiem for a Dream, les retrouvailles entre Jennifer Connelly et Darren Aronofsky n'ont pas été à la hauteur de mes attentes.